Au début du Moyen Age et jusqu'à la fin du Xème siècle, les îles d'Hyères, battues par une mer hostile sans cesse porteuse de menaces sarrasines, et face à une côte dépeuplée et ruinée, sont pratiquement désertées.
A partir du XIème siècle, sous le dominium des seigneurs de Fos, les îles deviennent peu à peu le siège d'activités temporaires pouvant occasionner, par périodes, un faible peuplement qui ne dure pas. Si elles n'intéressent guère leurs seigneurs, trop occupés à guerroyer et à s'approprier autant de droits qu'ils le peuvent, par contre elles attirent l'attention de l'église qui constitue alors une force de structuration et de paix. Au XIIème siècle, un monastère est créé sur l'une des îles, très probablement sur le Levant, et représente, jusque vers la fin du XIIIème siècle, l'essentiel de l'activité et de la présence humaines sur nos îles.
Incorporées en 1257 au domaine comtal, les îles deviennent
le siège de petites seigneuries :
· Porquerolles d'un côté,
· Port-Cros et le Levant de l'autre,
· et Giens d'un troisième,
sans que leur situation économique ou démographique soit notablement modifiée, en raison notamment de leur insécurité.
Les comtes, pas plus qu'autrefois les Fos, ne se préoccupent directement de la défense des îles car elle était difficile et coûteuse.
Paul TURC
Ni le désintérêt marqué par les Fos à l'égard des îles, ni l'attention que leur a portée l'église, ne doivent surprendre. Au XIlème siècle, les seigneurs conservaient encore des terres en friche, tandis que les établissements religieux les acceptaient volontiers pour les mettre en valeur.
Une fondation cistercienne dans les îles d'Hyères au milieu du XIlème siècle, satisfaisait pleinement la volonté d'isolement des moines de l'ordre de Citeaux.
C'est probablement au cours des années 1150 qu'un monastère cistercien a été créé dans l'une des îles d'Hyères par l'abbaye du Thoronet.
Tout porte à croire qu'il s'agissait là d'une véritable abbaye, donc peuplée d'au moins douze moines et conduite par un abbé. Une abbaye, cela suppose une chapelle, des bâtiments de vie pour la communauté religieuse, une exploitation agricole, toutes choses qui furent pillées et en partie ravagées par les pirates.
Les indications données par les lettres du pape et les vestiges subsistant sur le terrain inclinent à penser que l'établissement en question se trouvait sur l'île du Levant au lieu dit "le Castelas".
Quelque temps plus tard, vers 1169 d'après l'une ces lettres pontificales, des chanoines réguliers suivant la règle de Saint Augustin viennent relever les ruines du monastère détruit et s'y installer.
Rien dans le texte en question ne précise sous quelle autorité fut réalisé ce transfert. Mais les développements ultérieurs montrent que ce nouvel établissement fut immédiatement placé sous la dépendance directe du Saint-Siège et dispensé de la juridiction épiscopale.
En 1198, l'abbé du Thoronet se présente devant Innocent III et lui demande de replacer le monastère des îles d'Hyères sous la règle cistercienne, prétendant avoir l'accord des chanoines.
De cet accord, les lettres de 1198 et 1199 donnent des raisons différentes : la première parle de " l'excessive pauvreté des lieux qui rend impossible tout agrandissement ", la seconde, du " comportement irrégulier des chanoines et de leur désir, sous l'inspiration divine, de revenir à une discipline plus stricte ", ce qui satisferait également, l'évêque du diocèse.
Innocent III, apparemment convaincu, demande à l'archevêque d'Arles d'installer à nouveau des cisterciens dans l'île : c'est la lettre du 15 juin 1198 qu'il confie à l'abbé du Thoronet pour qu'il la remette lui-même à l'archevêque.
Mais, avant de la faire parvenir à son destinataire, l'abbé se rend sur l'île, accompagné de Didier, évêque de Toulon, et d'une foule nombreuse comprenant des hommes armés conduits par un certain G. de Fos (probablement Guy de Fos, coseigneur d'Hyères).
Le rang des personnalités, la troupe qui les accompagne intimident les chanoines auxquels on présente leur transfert à l'ordre cistercien comme une chose officiellement acquise. Leur supérieur se range aux côtés de l'abbé du Thoronet, " lui remet les clés du couvent, et fait profession, avec certains chanoines d'observer désormais la règle de Cîteaux ". " On place des hommes d'armes sur les hauteurs environnantes et l'on retire l'échelle ".
" Cernés, abandonnés par leur supérieur, pressés par l'évêque qui leur recommande de prêter serment, terrorisés " par Guy de Fos qui "menace de les précipiter du haut de la roche escarpée ", les chanoines, auxquels on refuse un délai de réflexion, finissent par prêter serment, ou du moins promettre de ne pas s'opposer au transfert.
L'abbé du Thoronet et l'évêque de Toulon portent alors la lettre du pape à l'archevêque d'Arles, lui disent que les chanoines acceptent unanimement de devenir cisterciens, et obtiennent de sa part confirmation de leur action. Aussitôt, l'abbé saisit le chapitre général de l'ordre de Cîteaux pour incorporation de la nouvelle abbaye et demande au Saint-Siège la ratification en bonne forme.
Mais de leur côté, les chanoines ne restent pas inactifs : en janvier 1199, six d'entre eux sont témoins d'un acte de l'archevêché d'Arles. Ils ne se trouvent pas là par hasard, mais pour se plaindre d'avoir été trompés et dire qu'ils n'avaient prêté serment que sous la menace et la contrainte.
Ils protestent de leur attachement à "la règle du Bienheureux Père Augustin ", faisant remarquer que c'est à celle-là, non à celle de saint Benoît, qu'ils avaient juré d'être fidèles et que s'ils s'en étaient écartés, c'est à celle-là, et non à une autre, qu'on pouvait les obliger d'obéir.
L'archevêque semble les avoir écoutés avec bienveillance; peut-être même leur a-t-il rappelé le privilège pontifical qui les exemptait de la juridiction épiscopale et " les faisait dépendre directement du Saint-Siège ". Enfin, "il place leurs possessions sous séquestres, entend les déclarations des deux parties, et renvoie toute l'affaire " au pape.
Le jugement du pape
Innocent III, après nouvelle enquête confiée à l'évêque de Porto, rend son jugement :
En 1199, l'abbé du Thoronet est condamné à :
On peut donc admettre que les cisterciens ne sont pas revenus sur l'île d'Hyères et que les chanoines y sont restés.
extraits du livre "LES ILES d'OR, Fragments d'histoire" publié
aux actes sud par le Parc national sous la direction de Jean-Pierre BRUN